Les Alpes Albanaise

Lever 5 heures du matin ? C'est beaucoup trop tôt, mais c'est clair qu'une randonnée sous ce soleil de plomb en plein mois de juillet, il vaut mieux partir pas tard. Nous sommes tous en cercle autour du guide qui va nous accompagner tout au long du chemin. On fera des pauses bien sûr, mais il dit qu'il faut qu'on reste bien groupé pour pouvoir se donner un coup de main sur les passages difficiles. Mais de quoi il parle, bon dieu, on ne va quand même épouser la roche pour éviter de tomber dans le ravin en mode Mission Impossible, si ?? Mais bon levé pour levé, c'est parti, ma foi... On aurait peut-être dû demander un voyage qui ne fasse que le Sud, les plages, c'est bien aussi ! Dans quoi je me suis embarqué, sérieusement... Certains gagnent une tête pour épauler un compagnon de route, mais pas grand monde parle, on a tous encore la marque de l'oreiller sur la joue, et c'est pas évident de rassembler ses idées encore. En plus, il faut faire attention à où on pose les pieds, les pierres dansent sous nos chaussures, il n'y a qu'elles qui chantent. J'ai bien fait d'acheter des chaussures de rando. Quand on pense que tout ce que je vois autour de moi est recouvert de blanc l'hiver, qu'on ne peut pas y accéder tellement certains chemins sont ensevelis sous des mètres de neige, à tel point qu'on ne peut même pas y accéder. Ils ne doivent pas voir grand monde. C'est sans doute pour ça qu'ils sont aussi accueillants. Être enfermé plusieurs mois de l'année d'affilé, ça doit forger le mental...

Mais là, on est loin de ça, le soleil a déjà fait le tour de la planète et il est passé de l'autre côté. Les montagnes ne peuvent pas être aussi hautes, ce n'est pas possible, ça doit être un effet d'optique. En tous cas, c'est pas plus mal que le soleil ne soit pas encore au-dessus de nos têtes. Et heureusement que tout le monde a bien compris le guide et qu'on se suit, comment ça se passerait si un trou se formait dans le groupe et que les retardataires prenaient à gauche ? Lee shirts sont roulés remontés noués sous la poitrine, et ça coule le long du dos. Sur Internet, ça dit que l'Albanie est un pays musulman, mais les clochers en pierre brute (la même que celle des montagnes qui ne peuvent pas être aussi hautes ?) sont bien là. Et puis les locaux ne nous regardent pas bizarrement, ils nous ont tous salué, en fait ! Non, ils s'en fichent de voir notre nombril. Il faut espérer que tous les touristes passent par là se comportent bien, il ne faudrait pas changer un centimètre de leur sincérité, ça serait tellement dommage... Le repas d'hier soir n'était peut-être pas si riche que ça finalement, les estomacs de tout le monde gargouillent. Il n'est pas tard pourtant. Et cette dame dont je ne comprends pas un traître mot quand elle parle, elle insistait pour en rajouter dans les assiettes. En même temps, c'est là qu'on saisit l'effet que ça a d'être coupé du monde la moitié de l'année. C'est comme si on découvrait le goût de la viande et des légumes pour la première fois. Des pommes de terre, pourtant, c'est pas compliqué ! Pourquoi celles à la maison n'ont pas ce goût là, il faudra demander... Mais là, les cochons et la viande d'hier soir sont loin derrière et ça devient presque inutile de s'écouter penser.

On parle des bienfaits de la marche, que ça déconnecte complètement de la réalité. Non, et il vaut mieux ne pas y penser, de toute façon, les problèmes ne sont pas dans nos poches pleines de sueur. C'est loin tout ça... Élever des chèvres dans le Larzac, on dit. Ou ici, ça serait pas mal aussi. Oui mais non, les documentaires sur la six parlent de vendetta et de canons de loi que même la justice albanaise a du mal à contourner parfois. Comment ils font ? Le guide dit qu'un Albanais du Nord ne fermera jamais sa porte à un étranger, que c'est écrit dans leurs lois, bon, je n'y vois pas de problème ! Oh et cet alcool qui a été servi hier, il faut bien ça pour survivre perché sur les montagnes. C'est de l'alcool à brûler. Mais quand on y pense, le ciel hier soir était tellement pur. Autant d'étoiles, comme ça se fait qu'on ne voit pas ça à la maison ? Toutes ces lumières qui éclairent des rues que plus personne n'emprunte passée une heure, ou alors ceux qui rentrent de boîte et qui ont trop bu, et les gaz d'échappement, et les usines... C'est quand même dingue de voir un ciel pareil.

Du coup, les montagnes, on ne les voit pas dans la nuit. Même au milieu du Sahara, on ne voit pas ça. Le guide tend la main pour passer la rivière. Il est gentil quand même. Même avec ce tord-boyaux à l'alcool d'un fuit qui n'existe nulle part ailleurs, un truc qui ressemble à une framboise blanche, il n'a pas arrêté une seconde de traduire tout ce que les locaux disaient. Même les blagues... L'humour est différent, c'est dingue ! Oh et ces pierres !!! D'ailleurs, il disait hier, le guide, qu'une légende raconte que l'Albanie s'est formée quand le diable passait par là en sac à dos, et qu'il s'est percé, et que toutes les pierres qu'il avait se sont déversées sur son chemin. Mais comment ça se fait que l'eau est si fraîche, mais c'est bien, ça aurait été compliqué de faire toute la route avec ce qu'on a emporté dans nos gourdes. Et elle est tellement bonne. Ça fait penser à cette pub avec des bébés tout nus, tout beaux, bah ils peuvent aller se rhabiller, les bébés. D'ailleurs, comment l'eau peut être bleue, l'eau est incolore, normalement, non ? Mais cette eau-là, pourtant, bah, elle paraît bleue. Le guide prend notre pouls pour vérifier que notre tension ne crève pas le plafond. Et non, tout le monde va bien, han, ça valait le coup, j'espère que les autres ont pris des photos, parce que moi, je n'ai pas arrêté de regarder partout autour de moi tellement ce vert, ce bleu, ce blanc étaient juste incroyables.

C'était quelque chose, et on est resté les uns derrière les autres. Il n'y a que dans un truc pareil qu'on se montre autant de solidarité. Ou alors c'est l'hospitalité des Albanais qui déteint sur nous. Je n'en sais rien... Faut le voir pour le croire, mais on verra dans le Sud si c'est pareil, ce n'est pas possible que ça commence aussi bien. Bon, bah, ça valait le coup pour nous.